Une étude de Médecins sans Frontières (MSF) montre que les antivenins qui ont largement inondé ces dernières années le marché africain sont de mauvaise qualité et à peine efficaces. L’organisation plaide pour un essai clinique de ces produits avant leur mise sur le marché.
Kabinin Yaou, Togolais et père de famille, est l’un des rares à avoir survécu à la morsure de la petite vipère l’échide ocellée—la plus dangereuse dans la région de la savane ouest-africaine.
« Avant mon arrivée à l’hôpital, je saignais abondamment. Le médecin m’a administré un sérum et m’a fait quelques piqûres, » raconte-t-il. Avec beaucoup de chance, Yaou est sorti guéri, au bout de sept jours. « Très peu survivent après ces mêmes types de traitements ».
L’échide ocellée a tué de mars à juin 2019 six personnes dans son village, Kamina, situé à l’est du Togo, 281 km de la capitale. Contrairement aux autres victimes, Yaou s’est rendu dans le centre hospitalier de son village. Mais le centre n’ayant pas de l’électricité pour conserver au frais le sérum adapté à ce type de traitement, l’évacue directement vers l’hôpital de l’Ordre de Malte à Elavagnon, environ 60 km de Kamina.
Ces types de défis contribuent au nombre élevé de victimes de morsures de serpents en Afrique. En Afrique subsaharienne seulement, les morsures de serpents causeraient entre 435 000 et 580 000 envenimations et 20 000 à 32 000 décès par an.
Chose pire encore, dans ce continent, les antivenins en circulation sont des produits de mauvaise qualité et très peu efficaces au même titre que les sérums stockés par les cliniques. C’est le constat de Médecins sans Frontières, qui a publié une étude détaillant l’examen des données cliniques relatives à chaque produit antivenin actuellement disponible sur le marché africain.
La négligence de cette pathologie a compromis la disponibilité et l’évaluation du traitement antivenin en Afrique, où le marché des antivenins est très mal régulé, indique MSF. L’étude, rendue publique le 24 juin, dans la revue scientifique PLOS NTD, a identifié 16 sérums antivenimeux différents.
Certains mauvais produits entrent sur le marché africain parce que « les agences de médicament dans les pays africains n’ont toujours pas les capacités d’évaluer en profondeur les dossiers que leur soumettent les producteurs en vue d’obtenir une autorisation de mise sur le marché, » explique au Scientific African Magazine Julien Potet, conseiller en maladies négligées pour la Campagne d’Accès aux Médicaments Essentiels de MSF et l’un des auteurs de cette étude.
Le coût du traitement antivenin pose aussi problème, dit-il. En Afrique, « on se retrouve avec la mise sur le marché de certains produits qui, pourtant, ont montré de mauvais résultats quand ils ont été évalués par des laboratoires indépendants ». Ces antivenins sont moins chers que les antivenins plus efficaces. Donc il faudrait utiliser une très grande quantité de flacons pour espérer avoir une réponse thérapeutique satisfaisante. « Si le patient doit payer le prix total, qui s’élève souvent à plus de 50 euros par flacon, l’accès au traitement reste limité », dit Potet.
Jean-Phillipe Chippaux, directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement basé en France, et spécialiste des envenimations en Afrique, explique de son côté que les antivenins coûtent cher parce que « leur production demande un long processus de fabrication même si des efforts sont faits pour la standardiser ».
Julien Potet souligne qu’il « est important que les pays endémiques et leurs bailleurs de fonds achètent des stocks d’antivenins efficaces et de qualité et qu’ils les mettent gratuitement à la disposition des hôpitaux en zone rurale qui accueillent les victimes de morsures ».
Au Togo, il y a quelques mois, la Fondation 4-5-6 La Suite, une organisation à but non lucratif, a offert au pays, 8 000 flacons d’antivenins Inoserp Pan Africa, fabriqués par le laboratoire Espagnol Inosan Biopharma.
« Ce sérum est efficace si le patient est emmené en consultation dans les 72 heures après la morsure, » renseigne Dogbe Kossi Valentin, docteur et assistant médical dans une clinique privée à Anié, ville située au centre du Togo. Sa structure a soigné trois victimes de morsures de serpents cette année. « Avant cette donation, il y a eu des sérums parallèles, mais qui n’étaient pas efficaces », précise-t-il.
Mais même si un traitement efficace devenait plus accessible, certaines personnes pourraient toujours ne pas aller chercher ce soin. À Kamina, et beaucoup d’autres villages Togolais, il y a des superstitions et des mythes qui entourent les morsures de serpents, qui empêchent les victimes de chercher de l’aide médicale.