Health

Mon chemin vers l’indépendance

Comme tout bon projet, ma thèse de doctorat a été parsemée de beaucoup de difficultés. Même si à chaque fois j’ai trouvé le courage de continuer, j’avais, à un moment, pris la décision de ne pas m’engager dans une carrière de chercheur à temps plein, préférant l’enseignement. De plus, un de mes superviseurs m’avait fortement déconseillé d’éviter de m’engager dans le domaine du VIH/SIDA si je voulais poursuivre une carrière de chercheur. 

Le tournant dans ma carrière s’est produit lorsque j’ai pris conscience d’un fait étonnant : bien que le VIH soit originaire du bassin du Congo, il y avait peu ou pas de scientifiques de cette région pour raconter son histoire naturelle depuis son introduction chez l’homme jusqu’à sa dissémination à travers le monde. En outre, lors des nombreuses réunions scientifiques internationales auxquelles j’avais participé, peu d’Africains avaient présenté leurs travaux. Je me suis interrogé sur les causes de cette situation et j’ai compris que je pourrais être l’un de ceux qui la ferait changer.

Après ma formation de post doctorant en Afrique du Sud, j’ai eu le privilège de recevoir un financement de 100 000 dollars pour retourner dans mon pays, le Cameroun, et initier mon propre programme de recherche. Ce financement provient du programme SANTHE (acronyme anglais pour Réseau d’Afrique sub-saharienne pour l’excellence sur la tuberculose et le HIV) et est destiné aux chercheurs sur la voie de l’autonomie. L’étude financée permettra d’expliquer l’histoire de la propagation de l’épidémie du virus VIH-1 groupe M (VIH-1M) au Cameroun, dans tout le Bassin du Congo, et même au-delà.

Par exemple, elle pourrait fournir une indication sur la raison pour laquelle certains variants rares circulant dans le Bassin du Congo ne se sont pas propagés à l’échelle mondiale. En effet bien que la prévalence du VIH-1M soit relativement faible dans les pays du Bassin du Congo, ceux-ci abritent pourtant une quantité extraordinaire de variants viraux d’inégale distribution. Des études sont donc nécessaires pour déterminer s’il existe des différences biologiques entre les souches virales qui circulent dans le bassin, susceptibles d’expliquer leur répartition inégale dans la région. Les données générées par cette étude peuvent se révéler importantes pour le développement d’un vaccin anti-VIH pour la région.

Ma vie avant la recherche 

Je suis né et j’ai grandi dans une région côtière du Cameroun, au sein d’une famille moyenne de quatre enfants. Très éveillé, je cherchais toujours à tout comprendre. J’étais aussi celui qui entretenait le jardin : j’allais chercher des fleurs pour les replanter à la maison, ou dans des pots. Ma passion pour la connaissance du vivant et de la nature a commencé de bonne heure. Adolescent, à l’âge où la plupart de mes congénères étaient suspendus aux dessins animés ou aux films d’action, je m’intéressais plutôt aux documentaires consacrés à la nature, tout particulièrement aux animaux, comment ils parviennent à survivre dans des environnements souvent très hostiles. Je me souviens encore de mon émission favorite qui s’intitulait Splendeurs sauvages.

J’ai atteint un point culminant de cette passion pour la science quand, alors que je jouais dans la cour de notre maison, j’ai découvert des oisillons tombés de leur nid. Deux ou trois avaient été mangés par un chien et par un lézard. J’ai rapidement récupéré les trois qui restaient. Je leur ai construit un nid de fortune dans une boite que j’ai cachée, en sécurité dans un endroit isolé. Tous les jours à mon retour de classe (j’étais déjà au secondaire), je les nourrissais consciencieusement. Un jour, j’ai retrouvé le nid vide. J’ai pensé un instant qu’un prédateur les avait dévorés. Mais non : la boite contenant le nid aurait dans ce cas été renversée. Ils s’étaient simplement envolés. Quelle joie !

Cette expérience m’a instillé l’amour de la science et un désir de comprendre comment la vie fonctionne, et comment elle s’adapte à différents environnements. Aussi, à l’université, alors que mes notes me permettaient de m’inscrire en filière physique-chimie, j’ai choisi les sciences naturelles. À cette époque, j’ai été une exception.

Je me suis donc inscrit à l’université de Yaoundé 1, en sciences naturelles, puis en biochimie. Cela a été un choc au début : c’était l’unique université du pays, avec un nombre impressionnant d’étudiants. Pour les cours en amphithéâtre, il fallait arriver entre 4 et 5 heures du matin pour avoir une place assise.

Je ne résidais pas loin de l’université, mais n’ai pas pu supporter ce rythme. J’ai alors préféré préparer le concours d’entrée à la faculté de médecine. Malheureusement, je n’ai pas été admis. J’ai ensuite essayé de convaincre mes parents de la nécessité d’aller poursuivre mes études à l’étranger. Peine perdue !

Alors, j’ai supplié mes amis étudiants de me laisser photocopier leurs cours, que je n’avais pas pris en note puisque j’avais préparé le concours de médecine. Au premier examen partiel, j’ai eu la note de 04/20. C’était scandaleux pour quelqu’un qui venait de réaliser une moyenne de 15/20 à l’examen de fin de cycle du secondaire. Mais je ne me suis pas découragé, et grâce aux deux autres examens de l’année, j’ai remonté la pente et j’ai été admis en deuxième année.

En quête d’opportunités

Mon objectif à ce moment était d’aller le plus loin possible, bien que des proches me conseillaient de repasser le concours de la faculté de médecine. J’ai obtenu ma licence, puis ma maîtrise et mon diplôme d’études approfondies. Ensuite, ma carrière universitaire a connu un passage à vide, car je ne trouvais personne pour m’accueillir pour une thèse de doctorat. Je faisais donc, sans fin, des stages dans des laboratoires de recherche, au Cameroun et à l’étranger. C’est justement lors d’un de ces stages à l’étranger, à Nairobi, au Kenya, en 2006 que j’ai rencontré celle qui est devenue mon superviseur de doctorat. Dix ans après mon diplôme d’études approfondies, en 2011, elle m’a accueilli dans son département de virologie à l’université du Cap (UCT), en Afrique du Sud.

Tout de suite le problème du financement s’est posé. Les études coûtent très cher dans cette université qui est la plus réputée en Afrique. Heureusement, tout s’est arrangé, et en 2014 j’ai obtenu mon précieux diplôme de docteur (PhD). Les conditions et le cadre d’étude étaient impeccables ; rien à voir avec ce que j’avais connu dans mon pays. Il faut néanmoins rappeler que l’UCT est une université à majorité blanche, et il m’arrivait parfois de remarquer des regards pas très accueillants. Ma thèse a essayé de décrire l’influence que la diversité génétique du VIH-1M pouvait avoir sur les réponses immunitaires à médiation cellulaire.

En 2015, après mon doctorat, j’ai commencé ma formation post-doctorale dans la même université, d’abord au département d’immunologie, puis au département de bio-informatique. La thématique de cette formation était de comprendre les étapes entre l’entrée du VIH chez l’homme et sa propagation comme épidémie mondiale.

En 2017, j’ai quitté Le Cap pour rejoindre l’université du Kwazulu-Natal, à Durban, toujours en Afrique du Sud. J’avais en effet postulé à un appel à candidature du programme SANTHE. Je n’étais pas enchanté d’aller dans cette ville, mais l’offre financière était alléchante et je ne pouvais résister, d’autant  que je n’avais plus de financement pour continuer à travailler à l’UCT.

Mon nouveau superviseur m’a encouragé à poursuivre sur la thématique commencée au Cap. Pendant cette période, je me suis rapproché du directeur du programme SANTHE, en poste dans la même université, et je lui ai proposé d’être mon mentor. C’était en effet un chercheur non seulement africain mais, aussi mondialement reconnu. Il m’aiderait à trouver une bonne niche de recherche sur l’étude biologique de la vaste gamme des virus du VIH-1M que l’on retrouve dans le Bassin du Congo. Il a été ensuite d’un grand secours dans la rédaction de mon premier projet de recherche financé par le programme SANTHE pour revenir chez moi, au Cameroun, en juin 2018, et commencer une nouvelle carrière.

Au départ, je ne m’étais intéressé qu’au volet financier du programme SANTHE, qui me permettait de poursuivre en post-doctorat. Mais une fois à Durban, j’ai constaté que c’était un vaste réseau de scientifiques d’Afrique australe, d’Afrique de l’est, et de certains pays occidentaux. Plus intéressant, j’ai réalisé que SANTHE finance non seulement les étudiants de niveau maîtrise, doctorat et post doctorat, mais aussi des collaborations entre chercheurs du réseau. L’un des principaux objectifs de ce programme est de transférer les connaissances scientifiques et de renforcer les capacités. Il est né d’une collaboration ancienne entre les pays concernés.

Retour au Cameroun

L’une des faiblesses cependant du réseau est qu’il ne contenait jusqu’à lors qu’un seul pays francophone (le Rwanda) et pas de pays situés en Afrique centrale et de l’ouest, qui sont aussi touchés par les épidémies de VIH et de tuberculose. L’inclusion d’un deuxième pays francophone d’Afrique centrale offre désormais de nombreuses possibilités aux scientifiques des pays de cette région de collaborer avec leurs homologues des pays déjà impliqués dans le réseau.

En tant que chercheur en voie d’autonomie, il est extrêmement difficile de compétir avec des chercheurs senior déjà bien établis pour des subventions de recherche importantes. C’est précisément à ce niveau que le prix SANTHE Path-to-Independence a sa place. Ce financement constituera une excellente ressource pour un débutant comme moi. Il me permettra de générer des données préliminaires et contribuera à étendre le programme SANTHE aux pays francophones de l’Afrique du centre et de l’ouest. Revenir dans mon pays après ma formation a toujours été un rêve pour moi. Il m’a fallu plus de dix ans entre mon diplôme d’études approfondies et mon doctorat. Je suis parfaitement conscient que beaucoup de jeunes de mon pays sont dans la même situation. Ces jeunes, parfois très intelligents, n’arrivent pas à exprimer tout leur potentiel à cause du manque de chercheurs expérimentés et bien connectés à l’étranger, susceptibles de les encadrer. Pourtant les maladies infectieuses d’origine virale sont à l’origine de défis importants, que ne pourront relever que des personnes bien formées. Voilà le rôle que je me suis fixé en retournant dans mon pays. L’effort commence déjà à payer. Je viens en effet de recevoir deux financements extérieurs, par l’ANRS (Agence Nationale de Recherche sur le Sida et les Hépatites Virales) et par la Fondation de recherche allemande (DFG).